PENSEZ-VOUS ÊTRE UN BON LECTEUR OU UNE BONNE LECTRICE DE VOUS-MÊME ? OU TROUVEZ-VOUS TOUJOURS PLUS DE SATISFACTION À ENTENDRE VOS ÉCRITS DITS PAR D'AUTRES ? OU LES « PASSER À L'ORAL » EST POUR VOUS UNE HANTISE ET VOUS AVEZ OPTÉ POUR L'EXCLUSIVE ET MULTIPLE VOIX MENTALE ?
Catherine
Ferrière Marzio : Je crois que qui écrit, se lit et relit, ne serait-ce que
pour écouter la musique des associations de mots. Ensuite, être lue... je ne me
suis pas posée cette question.
Stéphane Bernard
: Merci, Catherine. Et je pourrais rajouter ces autres questions (qui
s'adressent à toutes et tous) : Aimez-vous votre timbre de voix quand vous
lisez ? Vous paraît-elle étrangère parfois, cette voix qui sort de vous, vous
relisant dans l'intimité ?
Catherine Ferrière
Marzio : Etrangère ? Non, mais je ne l'écoute pas pour elle-même, je l'écoute
en tant que « véhicule » de la musique que je veux obtenir. Peut-être
que si je l'entendais, je pourrais alors éprouver ce sentiment d'étrangeté.
Stéphane Bernard
: Oui. Je parle de ça, parce que pour ma part, je ne me relis qu'en
« psalmodiant », car plus haute ma voix semble plus lointaine et martiale,
donc un peu déshumanisée.
Catherine
Ferrière Marzio : Il y a dans votre vocabulaire les mots des prières.
Stéphane Bernard
: Oui, c'est vrai, je commence à parler comme un curé. Le monacat me guette.
Catherine
Ferrière Marzio : Par les temps qui courent et viennent, il y a pire comme
destination.
Cédric Bernard :
Préfère la voix mentale. Lit les autres en silence, et trouve toujours que les
(mes) textes sont mieux lus par d'autres que par moi-même. La voix est-elle
toujours réellement la nôtre quand elle sort d'ailleurs de notre corps,
désincarcérée ?
Stéphane Bernard
: Oui, Cédric, je vois exactement ce que tu veux dire. Et je peux même avouer
maintenant que j'ai déjà donné quelques excuses bidons pour me soustraire à une
lecture de mes textes.
Cédric Bernard :
Je suis. On ne m'a jamais proposé, mais c'est quelque chose que
j’appréhenderai.
Alain Guillaume
: Ai essayé mais reste mitigé par le résultat. Crois avoir donné la bonne
cadence et de ce point de vue il me semble qu'il n'y a que l'auteur qui sente
bien la cadence telle qu'il l'a écrite, ça reste pour le moins mon impression
me concernant, mais des défauts parfois d'élocution ou d'emphase inutile, des
mots bouffés, demanderaient encore un sérieux travail pour passer du stade de
récitant du dimanche à celui de tous les autres jours de la semaine.
Dominique Boudou
: Peut-on être un bon lecteur de soi-même, même si on a un peu de talent pour
dire, ce qui est mon cas ? Je ne le crois pas. Je n'ai aucun problème pour lire
en public les autres, mais moi, c'est une autre paire de manches. Comment
pourrais bien lire/dire ce que j'écris alors que je ne sais pas ce que j'écris ?
Brigitte Giraud
: J'aime lire les autres, les textes qui me plaisent. Parfois, me lire ne me
pose pas trop de problèmes. Je bidouille avec mes mots. Mon bricolage. J'écris
aussi à la voix. Et que d'autres me lisent, c'est du cadeau. Cela m'est arrivé
quelquefois et je pense surtout à la mise en voix d'un de mes textes par le
Théâtre des Tafurs, voix et musique, et le talent de François Mauget : émotion
émotion.
Stéphane Bernard
: Oui, Alain, le pathos est toujours là, à l'affût. Et c'est un sacré
travail que de parvenir à s'entendre « sur soi-même »... Oui, les autres, c'est toujours un plaisir. Par exemple chez Williams, ce qui
me plaît, c'est de déchiffrer (dans ses Tableaux de Brueghel par exemple) cette
sorte de parcours de flipper que suggère sa voix écrite - et qui doit bien
évidemment allumer chaque lampe et faire sonner chaque champignon à l'oral.
Murièle Modély :
Je corrige souvent à haute voix. J'aime lire à haute voix, mes textes (sans
doute pas la mieux placée pour cela), les textes des autres : avoir les textes
en bouche pour la « ouie-ssance » (JP Verheggen).
Stéphane Bernard
: Merci, Murièle. Pas mal cette « ouie-ssance ».
Marianne
Desroziers : Ecouter ses textes lus par un autre, c'est une expérience très
enrichissante et un peu déstabilisante : on redécouvre le texte dès qu'il est
lu à haute voix par un autre que soi. Je me souviens avoir été très étonnée par
une jeune femme lisant un extrait d'une de mes nouvelles - qui était très
sombre - de façon très gaie : j'en ai été troublée. Cela a modifié ma façon de
lire un autre extrait de cette nouvelle quelques minutes plus tard (j'ai lu de
façon beaucoup plus légère, moins grave). J'aime beaucoup lire les textes des
autres et écouter les autres lire mes textes. J'envisage aussi de lire des
extraits de mes textes et les mettre sur mon blog prochainement. La voix de
l'auteur accompagnant ses mots, cela peut intéresser les lecteurs !
Stéphane Bernard
: On est toujours effectivement surpris (au moins un
peu) par l'autre. Et le plus souvent très positivement. Sinon, pour ceux qui ne
connaissent pas, la Revue Rue Saint Ambroise (nouvelles) met en ligne la voix de
ses auteurs (ceux qui acceptent l'exercice). On y trouve notamment Perrine Le Querrec et Alban Lécuyer.
La Nouille
Martienne : Je lis toujours la poésie à haute voix (au moins une fois) mais je
crois que la Lecture (avec majuscule) doit être faite par un professionnel.
C'est un métier (une passion) qui n'est pas inné. La voix donne chair et rythmes
(d'ailleurs on peut redécouvrir une œuvre en l'écoutant, et lui offrir ainsi
un autre visage). Je pense cependant que nos moyens techniques actuels rendent
la lecture beaucoup plus charnelle, beaucoup moins artificielle qu'avant.
L'émotion est alors plus présente et transmissible. Quant à la tonalité de la
voix, c'est toujours un choc de s'entendre dans un enregistrement car nous
percevons l'émission de nos sons à travers notre corps (ce qui lui donne de la
profondeur) et pas seulement par une vibration de l'air.
Stéphane Bernard
: L'habitude des enregistrements a contribué à ce progrès d'une lecture moins
artificielle, oui.
Al Denton : Je
ne me suis jamais lu à haute voix. Je me murmure, uniquement dans ma voiture,
certaines strophes en boucle.
Stéphane Bernard
: Un truc qui nous rapproche. Comme je dis plus haut, je psalmodie mes
textes plus que je les dis. Et la boucle façon mantra je connais aussi un peu.
Justin Delareux
: Hantise de la lecture à voix haute. Impression d'un timbre étouffé passant
par le nez retenu par la gorge. Impression étrange par l'articulation de la
bouche et mouvement de la mâchoire incertain. Aucune présence vocale. Lecture
plate... En revanche possible amitié avec le dictaphone (ce n'est plus moi).
Stéphane Bernard
: Le fait de se lire avec une voix hybride - car celle
intérieure (avec laquelle on écrit) se mêle à celle quotidienne (avec laquelle
on parle tout le jour) - est toujours assez décevant. On ne se reconnait pas.
La voix poétique, oralisée, doit, je pense, être une voix libérée des deux
autres habituelles. Je me souviens souvent de ce que nous disait notre prof de
musique quand j'avais onze ans : « Dans la discussion, très peu utilisent
leur vraie voix. Parce que nous avons reproduit les intonations, les tics
vocaux de ceux qui nous ont appris à parler. Mais c'est cette voix intime que
nous devons trouver en nous pour chanter. »
Cathy Garcia
: Voir autre réponse, passage par l'oral quasi incontournable, par d'autres,
c'est encore mieux.
Stéphane Bernard
: Oui, là-dessus je crois qu'on est tous d'accord : l'autre, c'est toujours un
apport.
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