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PETITE VARIATION-DÉVIATION : ENTRETENEZ-VOUS UN RAPPORT PLASTIQUE RÉEL AVEC LE TEXTE ? ÊTES-VOUS SENSIBLE AU SIMPLE OBJET « POÈME » ?

Francesco Pittau : La plastique du texte est intéressante quand elle est signifiante mais j'ai tendance à croire que c'est rarement porteur, sauf quand on a affaire à un vrai dessinateur. Le reste c'est souvent de l'esbroufe au mieux, du cache-misère au pire.

Al Denton : Pas du tout de rapport plastique en ce qui me concerne. Je ne suis pas visuel, et il y a des personnes dont c'est le boulot. Par contre, un fort rapport musical, ou plutôt même en dessous de la musique, auditif. C'est cela, oui, auditif.

Stéphane Bernard : Al, du coup, je vous renvoie aux questions de la session 1 : « Pensez-vous être un bon lecteur ou une bonne lectrice de vous-même, ou trouvez-vous toujours plus de satisfaction à entendre vos écrits dits par d'autres ? Ou les « passer à l'oral » est pour vous une hantise et vous avez opté pour l'exclusive et multiple voix mentale ? »

Dominique Boudou : Non aux deux questions. Et pourtant, ce que disent certains textes se prête au linéaire alors que d'autres disent mieux ce qu'ils disent en vers ou en fragments.

Stéphane Bernard : Mais l'un d'entre vous a-t-il développé une passion pour une certaine forme ? (Je dirais, pour l'exemple, que j'aime beaucoup les distiques, dans un poème pas trop long en général.) Ou encore, trouvez-vous parfois simplement le texte que vous avez écrit « beau » (abstraction faite du sens et de la voix), sa disposition sur la page ?

Rodrigue Lavallé : Beau, j'irais peut-être pas jusque-là mais j'aime que le texte soit visuellement équilibré dans la page. C'est même un peu obsessionnel et je dois parfois me faire violence pour préserver un peu de déséquilibre.

Stéphane Bernard : Oui, je suis pareil, Rodrigue. D'où ma question. C'est une sorte de TOC, non ?

Rodrigue Lavallé : J'imagine que ça s'y apparente. Sauf que c'est quand même pas irrationnel. Comme le dit Dominique, ça reste un choix en fonction de ce qu'on veut faire passer. Parfois, je teste plusieurs versions du même texte dans des disposition différentes. Alors, ça peut être le passage à l'oral qui impose la bonne version.

Stéphane Bernard : Non, ce n'est pas anodin.

Audrey Whynot : Ce qui se trame dans le poème affalé.

La Nouille Martienne : Ce questionnement est intéressant. Placer le mot dans un espace tridimensionnel comme s'il ne suffisait pas. Lui rajouter des artifices. Mais alors, il ne peut plus passer que par le regard, car hors la mise en place ou la forme donnée sur la page que le souffle, le rythme, l'intonation restituent, comment lire un tel poème ? On le reçoit émotionnellement certes parfois, l'apport (et non l'ajout) d'un support visuel ou musical, en cas de lecture à voix haute (ah, l'ailleurs mathématique d'un Oslo Deauville, quel souvenir ! - hélas introuvable sur le net). Et que dire des supports photos « illustrées » si merveilleusement ? En tant que Nouille, j'aime avant tout et essentiellement le mot en poésie comme j'aime le contact de la page écrite. Symptomatique d'une génération à cheval sur le virtuel et le passage à la 3D ? Mon sentiment ? La poésie est évolutive comme tout langage, le lecteur s'adaptera.

Rodrigue Lavallé : La Nouille, j'ai tendance à penser que la question de la disposition du texte tient en partie à celle de l'oralité en tant qu'elle induit aussi un « rythme » de lecture, au même titre (et peut-être même mieux) qu'une ponctuation, qui peut apporter au sens et à l'ambiance du texte. C'est pourquoi je ne crois pas que cela relève forcément de l'artifice. A condition, comme tu le dis, que ça ne passe pas « que » par le regard et que les mots se suffisent aussi à eux-mêmes.

Audrey Whynot : Apport c'est très bien trouvé pour le lecteur accommodé.

Stéphane Bernard : La Nouille, je me demandais d'ailleurs comment étaient les lectures que faisaient cummings de certains de ses textes qui semblent impossibles oralement. Et puis je posais ces questions, mais moi-même je ne suis pas très porté sur le calligramme ou autres « expériences plastiques », mais plutôt sur ce dont parle Rodrigue. Et puis bizarrement sur cummings, aussi parce que là la réussite du jeu est complète. La forme apporte au sens. Et je me demandais aussi, concernant encore ce dernier, si certains de ses poèmes (du genre de celui ci-dessus) ne sont pas, par leur impossible « passage à l'oral » (parce qu'ils me paraissent tels), « condamnés » à une lecture mentale et visuelle.

Cathy Garcia : Bof. Suis sensible à ce qui passe aussi bien à l'écrit qu'à l'oral. C'est même important la « défétichisation » de l'écrit.

Anna de Sandre : Pareil que Al Denton, j'écris à l'oreille. Ce qui fait que même en poésie, je fais les césures à l'oreille.

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