CE DIALOGUE DU « PIERROT LE FOU » DE GODARD SE TROUVE TOUJOURS QUELQUE PART EN MOI :
FERDINAND - POURQUOI T'AS L'AIR TRISTE ?
MARIANNE - PARCE QUE TU ME PARLES AVEC DES MOTS ET MOI JE TE REGARDES AVEC DES SENTIMENTS.
FERDINAND - AVEC TOI ON PEUT PAS AVOIR DE CONVERSATION, T'AS JAMAIS D'IDÉES, TOUJOURS DES SENTIMENTS !
MARIANNE - C'EST PAS VRAI ! Y A DES IDÉES DANS LES SENTIMENTS !
À QUEL POINT SE COUPE-T-ON DE L'AUTRE ET/OU DE LA VIE ET/OU DE SOI QUAND ON ÉCRIT ? PLUS ON Y ENTRE, PLUS ON CREUSE, ÉCRIVANT, PLUS ON S'ÉLOIGNE DE SA SURFACE OÙ A LIEU LE CONTACT.
FERDINAND - POURQUOI T'AS L'AIR TRISTE ?
MARIANNE - PARCE QUE TU ME PARLES AVEC DES MOTS ET MOI JE TE REGARDES AVEC DES SENTIMENTS.
FERDINAND - AVEC TOI ON PEUT PAS AVOIR DE CONVERSATION, T'AS JAMAIS D'IDÉES, TOUJOURS DES SENTIMENTS !
MARIANNE - C'EST PAS VRAI ! Y A DES IDÉES DANS LES SENTIMENTS !
À QUEL POINT SE COUPE-T-ON DE L'AUTRE ET/OU DE LA VIE ET/OU DE SOI QUAND ON ÉCRIT ? PLUS ON Y ENTRE, PLUS ON CREUSE, ÉCRIVANT, PLUS ON S'ÉLOIGNE DE SA SURFACE OÙ A LIEU LE CONTACT.
Thierry Roquet :
Quand on écrit des dialogues, j'ai le
sentiment qu'on développe un petit côté schizophrénique (façon d'être dans la
vie tout en y n'étant pas vraiment). Quand on écrit un texte/poème/dialogue/autre
chose, on pense qu'on n'a plus trop besoin d'en parler avec l'autre ; ce serait
une « redite ».
Stéphane Bernard :
Je vois le truc, Thierry, avec cette « redite ». Oui, écrire ankylose parfois un peu les
rapports avec l'autre, on s'endort sur son nid, on couve ses mots, persuadé
qu'ils ont aussi éclos chez lui. Cela ne suffit pas toujours. Souvent.
Christine
Saint-Geours : Il y a tant de façons de se couper des autres et/ou de soi,
l'écriture n'est pas la pire.
Stéphane Bernard :
Oui, beaucoup d'autres. Mais ma question n'est pas si négative, je crois. Et
en général cette coupure est accidentelle, un dommage collatéral. C'est un isolement inévitable
mais qui aspire tout de même à toucher dans la majorité des cas (le contraire
est rare, maladif). Mais ça reste tout de même une demi-chimère. Ce qui est le
plus intéressant avec la poésie - par rapport à d'autres moyen de communiquer,
c'est que c'est bien des fois la flèche que nous pensions ne pas posséder qui
survient et atteint finalement la cible, relativement - si cible il y avait. Et
la quête de cette flèche est un des attraits de l'écriture.
Dominique Boudou :
Je ne me coupe de rien, ni des autres ni de moi, ni de la vie ni de la mort. Il
y a des idées dans mes sentiments et des sentiments dans mes idées. L'éprouvé
de l'écriture, avant pendant et après, se situe au cœur de toutes les
variations de la vie réelle et imaginaire.
Stéphane Bernard :
Bon, ben du coup, grâce à vous, Dominique, je vais voir ce qui cloche peut-être
dans cette idée que je me fais de cette coupure. Peut-être que l'état que vous
décrivez est le plus juste et que c'est autre chose qui le parasite.
Al Denton :
En dernier lieu, l'écriture a pour moi un côté bien sale, comme aller aux
toilettes. Donc je ferme la porte. Et il arrive que ça me presse tellement que
je quitte une tablée, une société, ou un truc avec des gens pour aller le faire
tranquille dans mon coin. Quand vraiment j'ai plus de pudeur, je dégaine un
carnet et je fais mon truc sur un bout de table. L'essentiel se passe de toute
façon dans ma tête ; par définition, autrui est exclu... J'aime beaucoup ce que dit Dominique Boudou sur le fait qu'il n'est
jamais coupé du réel dans son travail. Pour moi, ce serait une sorte d'idéal de
vie. Je veux dire, que l'écriture et la vie soient des possibilités conjointes
dans la façon dont je me représente le réel.
Stéphane Bernard :
Oui, ce que nous dit Dominique m'a fait à peu
près le même effet. Ce qui me questionne depuis, un peu. « Il y a donc un moyen
d'écrire comme ça. » Bon...
Brigitte Giraud :
Écrire est un truc à soi. On a au moins ça, rien qu'à soi. « Coupé »
fait penser à « coupable ». On écrit seul, on se coupe tout seul.
Envers et contre tout. mais c'est sa cuisine, qui mijote, sans l'urgence de
tout lâcher pour. Parce que la vie n'est pas effondrée. Et que écrire va juste
avec.
Francesco Pittau :
Écrire est un plaisir solitaire. On se coupe de rien du tout, pas plus que le
type qui fait ses cent bornes à vélo pour s'amuser.
Stéphane Bernard :
Francesco, je pense qu'un type qui fait cent bornes en vélo est de toute façon
dans un autre trip que celui qui roule en flânant le long d'un chemin de
halage. C'est un type qui veut des mollets. Quand je marche longtemps, loin,
c'est pour me couper de mes semblables, et je peux même dire que posé sur mes
jambes qui avancent je suis au travail sur mon seul et unique bureau (comme
beaucoup). Le principal vient souvent là. Mais j'ai beau être très concentré,
groggy de moi-même, j'essaie d'être aussi très réactif à ce qui m'entoure - et
j'évite l'humain, si possible.
Sophia Sophos :
Je dirais plutôt que plus on travaille les mots plus on approche l'autre, ou
l'Autre.
Stéphane Bernard :
Oui, Sophie, on finit par trouver le bon accord à force d'user le crin.
Catherine
Ferrière Marzio : Mais c'est quoi la question au juste : se couper de quoi
? Qui peut prétendre tenir le sécateur ?
Cédric
Bernard : A suivre le fil, connaître un peu certains et repenser aux
sessions précédentes, je me demande si ce n'est pas une question
d'individualité (truisme). Les personnes « naturellement » portées vers
autrui restent relativement ouvertes, et pour caricaturer, les « asociaux » exacerbent leur caractère.
Al Denton :
Cédric, entièrement d'accord. Après, il y a pour moi le fait que ce soit un job
comme un autre (ça, ça va faire plaisir à Pittau), et que de manière générale
je n'aime pas être dérangé dans mon travail (a fortiori quand j'ai un job
alimentaire à côté qui m'oblige déjà à beaucoup d'interruptions et de contacts
humains).
Stéphane Bernard :
Oui, Cédric, tu as raison. Ce n'est
pas un problème littéraire mais un problème personnel. Et c'est pourquoi en ce
beau jour de printemps (fenêtre ouverte, ciel bleu, chants d'oiseaux, après des
jours de gris humide intégral), je promets une prochaine session alimentée par
autre chose que mes névroses.
Paul Jullien :
En lisant vos discussions et surtout ce lien de réel et de vie (pour moi il n'y
a aucune différence : ce serait penser que la matière visible est plus
importante que la matière invisible et dès lors, arrêtons d'écrire) je pense
à ce texte que la revue Népenthès avait bien voulu publier et qui me semble
parfaitement dans la discussion :
Un ami m'a dit
un jour, et ce de manière très critique : « Vis, arrête d'avoir l'idée de vivre
! »... Quel joli précepte ! Il semble tellement vrai... Il s'oppose bien sûr à
l'idée de Proust et à son fameux « la vraie vie, la vie enfin découverte et
éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature
». Il s'oppose aussi à ma conception de la vie. Toutefois, comme ces hommes,
comme ces agités de la vie, si je peux les nommer ainsi, je peux comprendre
cette attaque, je peux même en épouser les contours piquants... Et oui,
parfois, et je crois que c'est lors de bons moments, ceux agréables de la
futilité des plaisirs, il m'arrive d'y croire et d'y adhérer... Mais ces
instants-ci sont brefs : le temps d'une soirée, une heure ou deux dans
l'euphorie de l'alcool, les amis surtout et les filles pas bien loin, de bonnes
discussions, un baiser oublié... Brefs et vite regrettés : Les lendemains sont
terribles, la mélancolie me lacérant l'esprit autant que l'alcool le ventre...
Voilà donc la vie, ce présent mort d'être né... L'instant nous échappe de le
vivre, et, parce-que je suis faible, la souffrance m'accable. C’est le deuil,
indiscutablement, inéluctablement. C'est comme si le temps de quelques heures,
j'avais été arraché à ma dimension, suspendu en apnée dans le monde dit « réel
», et que je devais reprendre ma place doucement dans ce qui n'est ni un rêve,
ni une réalité, mais peut-être simplement ma place : celle du présent, et de
son deuil permanent.
Ce que je sais
viscéralement c'est que je ne me sens vivre réellement que dans cette
antichambre fragile et éphémère qu'est le pogrom du manque, un lieu comme une
gigantesque plage neutre où les grains de sables sont des projections, des
idées vives, des souvenirs ou n'importe quoi, du temps. Là où les agités le
laissent glisser entre les fentes de leurs mains, je peux le modeler,
l'idéaliser, le déformer et le rendre beau à mes yeux. Voilà, le sens de
l'écriture, voilà le sens de la mélancolie. Vivre réellement, c'est à dire dans
tous ses filaments, dans son apogée, là où je deviens héros et les ennemis des
pantins couards, là où il n'y a jamais de nuages dans le ciel de Provence, là
où je suis Dieu - un Dieu triste et fugace mais un Dieu quand même... Le temps
est partout, je ne cesse de me servir de lui, de le broyer, de le concasser,
pour rendre l'éphémère durable. Durable pour les autres, pour les lecteurs,
durable pour le temps lui-même, mais c'est tout ; Dieu meurt de sa création.
Parce-que,
malgré cette apothéose, vivre réellement est, pour un mélancolique,
l'impossibilité de vivre le sentiment, l'impossibilité de vivre tout court,
expirer plus d'air qu'il n'en faut et détruire, détruire tous ces dons du
présent, nier la charité du hasard, éradiquer sa propre création, se rendre
soi-même éphémère, pour mieux contrôler et façonner ce que l'on a envie de
garder... Ce qu'on garde, ce sont des souvenirs beaux comme des chapelles, une
nostalgie belle comme une tombe. On peut mourir d'être proustien... Bien que je
sache, que pour tout le monde, c'est pareil : on meurt bien de vivre.
Stéphane Bernard :
Il faut savoir cueillir les épiphanies. En cela, je ne suis jamais coupé du
monde. C'est ma cueillette favorite. Et de l'épiphanie, il s'en trouve dans
tous les coins, c'est juste une affaire de circonstances et de déploiement
d'antennes pour qu'elles nous viennent. De toute façon, qu'on le veuille ou
non, la séance d'écriture est tout de même un rituel que l'on se crée - un
d'isolement. Mais je considère mon thé du matin comme un autre rituel. Le mot
« rituel » ne signifie pas forcément en faire tout un plat. C'est juste
un moment que l'on s'accorde avec soi-même, comme dit Brigitte.
Cédric
Bernard : Les névroses, ça me va, ça me permet de me dire que je suis à
peu près « normal », ou en tout cas, pas tout seul, en fin de compte. Puis
ça entretient une certaine « socialisation » plutôt nécessaire.
Stéphane Bernard :
Les névroses, c'est comme le cholestérol, on en a tous, après c'est une
question de proportions. Et puis tant qu'on arrive à les tenir en laisse.
Alain Guillaume :
Oui, mais nécessite au quotidien un entraînement certain en impavidité.
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